A la fin du 19ème siècle, devant la toute puissante prédominance du
néo-classique et, par la même, des arts académiques, des marchands se
sont engagés à défendre et à montrer au grand public, les arts naïfs.
Et depuis, de Haïti à Cuba, en passant par l'ex-Yougoslavie, la
peinture naïve a fait école et n'a cessé de se propager.
Ainsi, à la faveur de l'événement qu'a constitué l'exposition de naïfs
organisée par la fondation Expression Azimuts aux côtés de peintres
académiques, du 13 au 15 juin dernier à l'hôtel Sofitel, nous avons
fait une incursion dans l'univers des peintres naïfs de Côté d'Ivoire.
Généralement tenus à l'écart des grands mouvements contemporains ces
naïfs sont les plus importants du continent. Leur apparition dans le
paysage des arts plastiquesen Côte d'Ivoire remonte au milieu des
années 1980. A la suite de Zéphirin que défendait alors la galerie
Akagni, vient la génération des Idrissa Diara, Augustin Kassi, Camille
et autres à qui le Centre culturel français (C.C.F.) a consacré une
exposition de groupe. Puis se sont ouverts pour eux les portes du musée
des naïfs Marx Fournier à Paris aux côtés d'autres naïfs africains. Et
depuis lors, la cote et la réputation des naïfs de Côte d'Ivoire ne
cessent de croître. La galerie "Arts pluriels" organisera, quant à elle
des expositions personnelles de Augustin Kassi dans les années 90. La
plus importante date de novembre 1995.
Même si leur style reste caractéristique de la peinture née au début du
siècle autour du douanier Rousseau, le plus célèbres des naïfs
révélé par l'Alfred Jarry, ceux de Côte d'Ivoire ne sont plus ces
ex-fonctionnaires venus sur le tard à la peinture et ignorant tout des
méthodes académiques. Ils sont, pour la plupart, des anciens élèves du
Centre d'art d'Abengourou (fondé dans les années 1970 par Charles
Bierth). Et se consacrent à plein temps à la peinture. Exception faite
de quelques-uns moins connus qui, pour arrondir les fins de mois,
peignent des enseignes, des portraits ou des tableaux à la demande du
client, leur sujet est emprunté à la vie quotidienne: scène de marché,
animation des artères des villes. Dans leur écriture, on retrouve
l'imagerie populaire. Malgré une ceraine précision dans le dessin comme
dans l'application des couleurs (qui va jusqu'à la manie) leurs oeuvres
ne peuvent être traitées de réalistes. Elles sont souvent l'effet
d'obsessions subconscientes de la notion d'âge d'or.
Ces naïfs ont en commun une relative ou totale influence de
l'académisme. Ils ont le souci de tout dire par des lointains suggérés
en évoquant autant que possible la ligne d'horizon. Les points de fuite
dans le cas d'un paysage urbain partent des quartiers périphériques
vers les centre-villes caractérisés par une architecture sérieuse. Les
formes principales sont réhaussées par des aplats de couleurs pures et
par de petites touches minutieuses de pinceau. Tandis que les espaces
intermédiaires sont traités avec des couleurs dégradées ou
complémentaires.
Sur le support préparé à la colle à bois et à la peinture acrylique
(comme chez Djiguemde Roger, Rasmané ou Ehoba), ou préalablement
préparé et prêt à accueillir la peinture (comme chez Kassi),
l'élaboration commune par les ciels ou la terre. Au crayon ou
directement à la peinture (huile ou acrylique). Viennent ensuite les
éléments dominants qui donnent souvent le titre au tableau et
l'animation par la résolution des problèmes d'équilibres. Par des
écriteaux ou autres objets. Ainsi, une surcharge de "gbaka" ou un
ballon dans le ciel (voir photo) viendra accentuer la perspective
atmosphérique. Une palette gaie où les tons sombres sont délibérement
exclus. Derrière cette façade, les naïfs prolongent des messages à
connotations éducatives et de sinsibilisation. Citons ici la protection
de la fôret, les feux de brousse, le sida, la corruption, etc. Tout
ceci couve un ardent désir d'un idéal paradisiaque qui, pour eux,
serait de vivre décemment de leur art. Ce à quoi s'attelle la Fondation
Expresson Azimuts avec l'aide de mécènes et autres donateurs. Cette
structure projette pour eux une grande exposition au mois de décembre
prochain à Abidjan et un atelier de formation sur la préparation des
toiles en mars à Bassam.
Mimi Errol, journaliste culturel
Jeudi 1er août 1996, Ivoir'Soir, page 10