Article paru dans l'édition du 31 juillet 2001, rubrique Cultures, du journal l'Humanité
Laval accueille sa troisième biennale consacrée à l’art naïf. Une invitation à découvrir les artistes du continent africain.
À l’heure où l’art africain retrouve de son essor, la biennale d’art
naïf de Laval consacrée cette année à l’Afrique ne pouvait mieux
tomber. La ville, qui avait auparavant organisé avec succès deux autres
biennales d’art naïf en 1997 (Europe) et en 1999 (Amérique centrale et
latine), poursuit dans cette voie, avec la volonté de développer le
goût et la connaissance d’une forme artistique ancestrale. Cette
collection, de près de 280 tableaux, est le fruit d’une collaboration
entre les rares musées africains et certains grands musées européens,
et des collectionneurs comme Aimé Maeght, qui a fourni une partie des
toiles de la peintre algérienne Baya, décédée en 1998. Les artistes des
treize pays représentés attendaient cet événement avec impatience.
Certains d’entre eux, visiblement touchés par l’ampleur donnée à
l’initiative (quatre lieux d’exposition leur sont consacrés), ont peint
d’autres toiles, juste pour l’occasion, à l’image de l’Ivoirien Idrissa
Diarrassouba qui en a réalisé sept en deux mois. Plus qu’un simple
rendez-vous, une reconnaissance pour ces artistes d’un continent en
souffrance.
L’art naïf est patent dans tous les pays depuis des siècles. Pourtant,
en donner une définition reste principalement une affaire d’impressions
: " Si un auteur se dit " naïf ", alors on doit le considérer comme tel
", explique Stéphanie de Charry, l’une des organisatrices de la
manifestation. Les ouvres naïves mettent en scène la nature, l’histoire
et le quotidien des peuples, d’une manière en apparence simple mais qui
s’avère rapidement dévoiler des messages plus profonds. On privilégie
la peinture pour communiquer et le souci de l’esthétique n’est pas la
norme. Au niveau des procédés, l’art naïf peut se rapporter au dessin
animé ou à la bande dessinée, utilisant des supports aussi variés que
le bois, le papier, le verre ou la simple toile de sac de riz. À Laval,
la chapelle Saint-Julien abrite les trésors des deux seuls artistes
nord-africains, Baya (Algérie) et Mohamed Lagzouli (Maroc). Les
tableaux imposants de Baya représentent des femmes fortes, à la
poitrine opulente et aux yeux lourds de khôl qui se font tantôt
malicieux, tantôt attendrissants. Tendance que l’on observe notamment
dans Femme et Enfant en bleu, où une mère regarde avec amour et douceur
sa progéniture. Elle semble combler la perte de sa mère dans sa jeune
enfance par la présence des femmes. La nature jaillit de partout, se
fait envahissante, presque oppressante : des oiseaux, des arbres, des
fleurs à foison jusque sur les robes très colorées et même sur les
instruments. Cette artiste d’exception, découverte à l’âge de onze ans
par Maeght, affirmait son caractère et la maîtrise de son art. Elle
laisse des espaces peints avec des couleurs claires et reposantes et
d’autres où elle mêle des nuances sombres, presque morbides. Une fois
dans la salle réservée aux ouvres de Lagzouli, on a le sentiment
d’échouer dans un monde miniaturisé. Les scènes et les couleurs de ses
tableaux sont rafraîchissants de gaîté. On passe du souk à la pêche, en
faisant un détour par le hammam quand, soudain, on rencontre un tableau
qui détonne : une ouvre de Lagzouli, qui présente d’étranges
ressemblances avec l’art mythique, qui a fait le succès de Baya. Une
influence que l’on retrouve chez certains peintres d’Afrique noire qui
ne va pas sans rappeler le trait du Douanier Rousseau.
Au musée des Arts et des Sciences, des artistes anonymes éthiopiens
rendent compte, dans un style proche des tapisseries médiévales, des
batailles sanglantes qui mirent fin au colonialisme et des guerres de
religion entre chrétiens et musulmans. Le Congolais Paul Mampinda se
joue d’une vision occidentale pour croquer des scènes ordinaires d’un
quotidien passé au prisme d’un appareil photographique. Des artistes
ivoiriens et nigérians (qui ont collaboré pour l’occasion) ont mis
l’accent sur la diversité des couleurs du marché, l’abondance de la
faune tropicale et l’aridité du désert. À l’Orangerie, Damian B. K.
Msagula (Tanzanie) expose des ouvres où les traits précis dessinent des
personnages qui se détachent sur une palette de couleurs tranchées. À
la Perrine, autre lieu d’accueil de cette exposition, les " souwères "
du Sénégalais Boubakar Fall (technique qui consiste à peindre à
l’envers, du détail au général, sur le verre) nous régalent de
portraits de femme et de proverbes animés. La peinture sur écorce et
sur parchemin de l’Angolais Franck K. Lundangi attire l’oil, de même
que la satire de l’institution militaire par le Burkinabé Djiguemde H.
Roger, qui, par ailleurs, représente plusieurs scènes de vie
quotidienne. Après ce bref voyage en terres africaines, qui touche par
la force des émotions qu’il procure, on finit par penser que cet art
n’est pas si naïf que son nom voudrait bien nous le laisser entendre.
Habibou Bamogo
" Présence de l’art naïf en Afrique ", jusqu’au 15 septembre, à Laval.
Tous les jours sauf les lundis. Prix d’entrée pour l’ensemble des
quatre lieux : 35 francs. Rens : 02 43 49 47 84 ; Catalogue : 100
francs. |